En juillet 2023, Jean-Paul Roche cédait la barre d'Alliance Marine à Jérémy Tedguy. Le fondateur du leader français de la distribution d'équipement dans le nautisme revient sur l'aventure de la création du groupe Alliance Marine et l'évolution du secteur.
Alliance Marine est aujourd'hui un acteur important de l'équipement de plaisance, mais pouvez-vous nous présenter sa genèse et le parcours qui vous a mené à en faire ce qu'il est aujourd'hui ?
J'ai eu une adolescence un peu chaotique et probablement difficile pour mes parents. Je suis arrivé sur le marché du travail par un CAP de soudeur et ai exercé différents métiers. A 26 ans, j'ai repris mes études pour passer un BTS économie et marketing au CNAM en cours du soir. Finies ces études, je suis entré dans un groupe de pièces détachées automobile comme responsable adjoint du commerce, avant de devenir directeur France pour un groupe automobile italien de 1987 à 1993. J'avais alors envie de me lancer dans la reprise d'entreprise, et parmi les dossiers se trouvait Vidal Auto, qui faisait des pièces avant tout pour l'automobile, et un peu pour la marine. Nous avons repris l'entreprise avec un associé financier. Il a permis de rendre cela possible avec une bienveillance naturelle. Un an plus tard, nous reprenions une autre société, puis d'autres concurrents jusqu'à atteindre 180 personnes. C'est là que j'ai cédé Vidal Auto à Alliance Automotive.
Se posait alors une question philosophique : j'avais 42 ans et j'étais aisé, mais je n'avais pas l'âge de la retraite. J'ai proposé aux actionnaires de créer Alliance Marine, sur l'hypothèse que le nautisme suivait, avec 10 à 15 ans de retard l'automobile ou l'électroménager et se consolidait.
Après Vidal Diffusion Marine - VDM, nous avons repris la SEIMI, et continué sur un rythme de 1 entreprise environ tous les deux ans.
Comment mène-t-on une croissance comme celle-là et l'intégration de nouvelles entreprises ?
En 2000, Alliance Marine comptait 8 personnes, et il y a aujourd'hui 800 collaborateurs en 2023. On est passé de micro-régional à Toulon à une présence dans 10 pays, avec 75 M€ de chiffre d'affaires, et j'ai la prétention de croire que cela s'est toujours fait dans une bonne ambiance. Le modèle a toujours été de partir d'une société pour la développer, mais en respectant toujours la culture de ces sociétés. Selon la personnalité des cédants, cela a pu être plus ou moins difficile, mais on a toujours gardé cette ligne, qui est vertueuse.
Dans une acquisition, il y a toujours 2 aspects : l'ego du repreneur est flatté, mais celui des repris peut être blessé. Il vaut mieux ne pas vouloir tout changer au départ et respecter ces employés, qui peuvent être inquiets en passant du petit patron propriétaire à un groupe. C'est ce qui fait que l'employé d'Alliance Marine qui arrive est bien vu. Quand on va rencontrer une autre cible de reprise, elle se renseigne auprès des anciens cédants, et cela facilite alors le développement du groupe.
Avant, cela était intuitif, mais en grandissant, cela a du être formalisé dans la charte éthique, à travers les 3 piliers Respect, Transparence (qu'il faut concilier avec confidentialité) et Professionnalisme.
Il a fallu 15 ans pour devenir nationaux. A un certain stade, avec un nouvel actionnaire, nous avons fait rentrer de nouvelles compétences avec des personnes bilingues. Une petite équipe ne suffit plus. Mais on a gardé la compétence et l'envie de développer, avec des personnes qui collent à la culture d'Alliance Marine et des envies d'opérationnel.
Quelle a été la reprise la plus marquante ?
La reprise de Plastimo en 2012 était très particulière. C'était la première fois que l'on reprenait une entreprise de production, et à la barre du tribunal. A l'époque je suivais régulièrement Plastimo comme concurrent dans mon tableau de bord, avec de l'admiration, tout en lui en voulant de m'avoir "piqué" Accastillage Bernard quelques années auparavant. Ce fut un mois de juillet effervescent et pétillant de réflexion au moment de se lancer.
Ce fut néanmoins une expérience difficile. Il a fallu relancer la dynamique et recréer l'envie. Lors des premières semaines dans l'entreprise, le regard des gens oscille entre plaisir et inquiétude. Alors que nous avions repris 59 salariés initialement, il y en avait déjà 89 un an plus tard.
Durant ces 25 ans, quelles ont été pour vous les évolutions les plus marquantes de l'équipement dans le nautisme ?
On est passé du bateau électrifié au bateau électronifié. En 2004-2005, nous étions en négociation pour la reprise de l'importateur national de Garmin, sans que cela aboutisse. C'était encore tout petit, en comparaison à aujourd'hui.
On peut aussi citer l'arrivée des petits moteurs électriques, l'accélération du semi-rigide et de la part du moteur par rapport à la voile.
Pour les équipementiers orientés sur l'aftermarket, les accords avec les fabricants sont importants. Il y a eu une consolidation des constructeurs, mais aussi de la vente avec les franchises dont nous avons été acteurs. Les gros constructeurs ont besoin de grands acteurs en face d'eux. Quand leur bureau d'études monte en compétence, celui des équipementiers doit aussi le faire.
Néanmoins nos métiers restent traditionnels. Si cela fait longtemps que l'on dit que le catalogue papier et le commercial sur la route sont finis, ce n'est pas pour tout de suite, même s'il faut savoir faire entrer la modernité.
