Quel est votre rapport avec la mer, la plaisance et l'ADN de la baie de Seine en termes de régates
Je suis le maître de port principal au port de plaisance du Havre et je fais ce métier depuis 15 ans. Je suis Havrais, donc j'ai fait mes armes au CNPH à l'époque, qui est devenu ensuite le SNPH, un club de voile local du Havre. Je connais bien l'environnement Havrais, les clubs et le tissu économique local. Je suis aussi parti naviguer ailleurs, mais il y a ici un plan d'eau qui me plaît pour ses différents aspects techniques : les courants qui sont assez forts, des effets de site assez forts avec les falaises. C'est un plan d'eau qui est assez technique, qui peut être viril par moments, il y a toujours un petit peu de clapot dans la baie de Seine. Enfin, j'apprécie la proximité avec l'Angleterre, et son gros potentiel de régates depuis Cowes vers Dieppe, le Havre, Dinard, Cherbourg, Deauville…
Je navigue en IRC et je suis également délégué OSIRIS. Ce sont des jauges que je connais bien, qui évoluent au fil des années. Ainsi je suis assez bien placé pour accueillir les gens ici au port de plaisance, les orienter s'ils ont un profil un peu régatier ou croisière.
C'est un plan d'eau où ça navigue toute l'année. Aujourd'hui, on est fin octobre, et si je regarde dehors, je vois des catas voile légère qui passent là sous les fenêtres. Ce week-end, il y avait des dériveurs, des Optimist, il y a régulièrement des 420, des Laser, des 5o5, des Fin. La mairie souhaite dynamiser la ville par le côté nautique, donc c'est important d'avoir un plan d'eau qui est actif et d'avoir des clubs qui soient très moteurs de l'activité nautique.
Peut-on présenter le port, les différents bassins, les infrastructures ?
Le port de plaisance du Havre compte 3 sites :
Le port principal est un port accessible 24 heures sur 24. Il compte environ 1150 anneaux, avec 80 places visiteurs. C'est un port qui est en fond de baie de Seine, proche de l'estuaire. On est un des seuls ports de la région à pouvoir entrer sans contrainte de marée entre Dieppe et Cherbourg.
Dans le port principal se trouvent un peu plus de voiliers que de bateaux moteurs, même si la tendance est en train de changer un petit peu.
Les plaisanciers voileux annuels font de la croisière. Ils naviguent vers la Basse-Normandie et vers la Bretagne l'été. Certains vont en Angleterre ou remontent un peu dans le nord. Il y a également un tissu de régatiers assez important.
Et puis, on trouve beaucoup de pêches-promenades qui font de la pêche quasiment toute l'année. La Baie de Seine avec des zones de courant fournissent du bar, du maquereau…
Deuxième site, Port Vauban, est un port en centre-ville, derrière une écluse. Il y a 170 places. C'est un port qui a été ouvert en 2012 et qui était à l'origine un port pour ramener un peu de plaisance dans les bassins et donner une autre alternative aux plaisanciers. Le port principal n'avait plus de possibilités d'extension. Port Vauban nous a donné un petit souffle et a permis d'avoir des places. Certes, c'est moins facile de rentrer et de sortir puisqu'il y a un sas le matin et le soir, tout au long de l'année. Mais ça permet à des marins qui préparent un bateau pour un grand voyage, ou qui souhaitent vendre leur bateau, ou qui utilisent moins leur bateau… On a aussi des retours de grands voyages. Certains vivent à bord avant de partir. On a également quelques étudiants qui sont à Sciences Po ou à l'ENSM, qui vivent à bord de leur bateau à Port Vauban.
La zone de l'ESCO est le troisième site qui a été ouverte en 2014 qui est un lieu de stockage à terre et de maintenance de bateaux. Auparavant, les mises à terre de bateaux se faisaient sur le port principal. Pour des contraintes d'extension, de volonté de pouvoir s'étendre un peu plus, on a ouvert en 2014 une zone technique où il y a 3 engins de levage sur place. Ça nous permet de mettre à terre des bateaux jusqu'à 30 tonnes et 6 mètres de large. Une grue mobile nous permet d'être assez souple au niveau des manutentions, sur des matages, dématages ou des mises à terre de petits bateaux.
Les trois sites du port de plaisance du Havre sont géré depuis le bureau du port principal.
Comment est occupé le port de plaisance du Havre ? Quel taux de remplissage par catégorie de bateau ?
Sur le port principal; on est à 100% d'occupation. La demande actuelle se concentre sur des bateaux de moins de 7 mètres et sur des unités de plus de 10-11 mètres. C'est vraiment les deux catégories où l'on a le plus de demande de place. Chaque année, au port du Havre, on a à peu près 200 résiliations sur un total de 1300 places, en comptant les deux ports à flot. Inévitablement il y a un peu d'attente pour des places annuelles pour des bateaux de plus de 11 mètres.
Mais avec les deux autres sites, Port Vauban et la zone de l'Esco, on peut arriver à trouver des solutions intermédiaires, alternatives. C'est-à-dire qu'on va proposer, pour un bateau qui arrive par exemple au mois d'octobre, de se mettre à terre jusqu'au mois d'avril-mai. Ensuite, on peut lui conseiller d'aller à Port Vauban. Et puis ensuite, pour l'été, juillet-août, soit c'est le bateau navigue et il quitte le Havre, soit on l'accueille au ponton visiteur.
On essaie d'être assez dynamique sur la gestion des places. On peut proposer des places durant l'été puisqu'on a des clients du Havre qui partent en croisière pour un ou deux mois.
On est à 100% sur le port principal et un petit peu moins, entre 75% et 80%, sur Port Vauban. Dans ce port de centre ville, la taille moyenne du bateau est un peu plus élevée avec des unités plus grosses. On n'a pas de petits bateaux à Port Vauban.
En revanche, on a un petit trou dans les bateaux entre 8 et 10 mètres.
Je me rends compte que le bateau de 8,50-9 mètres, qui n'a qu'une seule cabine arrière semble une taille intermédiaire qui intéresse beaucoup moins les plaisanciers depuis quelques années. Je vois beaucoup de primo-accédants qui achètent directement un voilier de 10-11 mètres. Côté bateaux à moteur, c'est soit un petit pêche-promenade, soit un semi-rigide ou coque open. Des bateaux qui font moins de 7 mètres. Entre le petit bateau à moteur et le grand voilier, il y a peu de demande de place.
Est-ce que tu as une idée de répartition d'origine des propriétaires des bateaux ?
Historiquement, on a deux bassins au port port principal de Plaisance du Havre : l'Anse des Régates et l'Anse de Joinville. Historiquement, on a beaucoup de Havrais qui sont dans l'Anse des Régates. Ça, c'est des contrats qu'on a depuis 15, 20, 30 ans parfois.
L'Anse de Joinville, de l'autre côté de la digue reçoit un peu plus de petits bateaux avec aussi des places pour des bateaux de croisière un peu plus gros. Dans ce bassin, les plaisanciers viennent de plus loin, dans un rayon de 100 km. Mais on a aussi une clientèle parisienne. Nous ne sommes qu'à 2 heures en train de Paris. C'est très facile de venir le vendredi soir et partir naviguer le samedi et dimanche. Pour le retour, il y a des trains jusque tard le dimanche.
Je n'ai pas les chiffres exacts, mais je pense qu'on a bien 40 % de gens qui sont à plus de 200 km d'ici.
Quel observation sur l'âge des propriétaires et leurs moyens ?
L'âge des propriétaires est plutôt entre 60 et 65 ans en moyenne. Je crois qu'on était à 63 ans l'année dernière. Même si étonnamment, je trouve que depuis le Covid, les demandes de places émanent de plaisanciers qui sont plutôt jeunes.
Parmi nos clients, il y a plusieurs profils. Il y a la personne qui est retraitée qui se dit, voilà, maintenant j'ai du temps, je vais pouvoir m'acheter mon bateau et qui s'oriente vers un petit pêche-promenade. Ou alors des gens qui naviguent déjà à la voile et qui se disent, voilà, c'est le moment, maintenant j'ai du temps, je m'achète un voilier, je pourrais naviguer avec et l'entretenir.
Mais depuis 3 à 4 ans, les demandes de places viennent aussi de jeunes qui ont 30-40 ans. Par contre, cette clientèle est beaucoup plus volage que les "anciens".
Quand un client résilie son abonnement, on essaie toujours de connaître la cause. Pourquoi vous résiliez votre place ? Pour beaucoup, c'est pour des raisons de santé ou de peu d'utilisation du bateau, ça va souvent ensemble. Pour les classes plus jeunes, des personnes qui ont 30 ou 40 ans, c'est souvent au bout de 3-4 ans, qu'ils arrêtent la pratique ou ils changent de bassin de navigation. Il y a une mutation professionnelle, il y a un arrêt de pratique parce qu'ils ont un nouvel enfant… Plus la personne est âgée quand elle prend son bateau, et plus souvent la pratique dure. Enfin, le contrat reste longtemps chez nous.
De notre côté, on essaie d'avoir différentes actions pour donner des bonnes raisons aux titulaires de contrat de rester.
Justement, qu'est-ce que vous faites comme type d'animation pour les titulaires de contrats ?
Nous essayons de fidéliser nos clients. Même si quelqu'un a envie de changer de bassin, nous sommes heureux pour lui. Par exemple, ce matin, j'étais au téléphone avec quelqu'un qui a une place de port depuis une dizaine d'années ici. Elle a changé de bateau, et a beaucoup plus de temps. Si ses activités professionnelles sont assez lourdes pour lui, elles se libèrent l'année prochaine. Donc il a décidé de quitter sa place de port au Havre et pour naviguer. C'est une bonne démarche ! On est super contents. Et ça laissera la place pour quelqu'un d'autre.
Pour l'animation, on a plusieurs types d'actions. On organise depuis quelques années des rallyes. On accompagne les plaisanciers au minimum deux fois dans l'année. La première sortie est plutôt en début de saison. On organise un rallye vers Caen, Ouistreham, Deauville. On prend en charge un peu tout, on organise le barbecue le soir, une montée du bateau vers Caen sur le canal avec l'ouverture des ponts, un petit restaurant le samedi. Ca permet de faire un petit briefing pour que les gens se rencontrent, de leur expliquer le passage du chenal, de leur présenter un la météo, les courants. Le but, c'est qu'ils se rencontrent entre plaisanciers. Ce rallye de début de saison est plutôt à destination des primo-accédants. Le but étant de les intégrer, d'essayer de créer une petite ambiance de ponton. On leur crée même un groupe WhatsApp par ponton. Après, ils ont des contacts et ils continuent à se côtoyer et voire à naviguer ensemble. Ça marche plutôt bien parce que cette année, il y a eu 3 rallyes, un vers Dieppe, un vers l'Angleterre et puis un vers les Scillys. A la base, c'est des gens qui se sont rencontrés sur des premiers événements qu'on avait fait.
Dans le deuxième rallye qu'on fait plutôt sur fin septembre, début octobre, on essaie de partir 4-5 jours un peu plus loin. L'Angleterre, souvent le Solent parce qu'il y a plein de choses à faire dans le Solent et ça plaît toujours.
Les rallyes, c'est la première action qu'on fait pour emmener les gens sur l'eau, leur donner une bonne raison d'utiliser leur bateau et leur montrer que naviguer en flotte, c'est aussi naviguer en sécurité, avec un partage de l'expérience avec des gens qui ont plus de vécu. C'est très formateur.
On organise également des ateliers rencontres pendant l'hiver. Le vendredi soir une fois par mois, on d'accueille un professionnel sur un thème différent à chaque fois avec 20 à 25 personnes. On ne veut pas trop de monde pour rester participatif. C'est sur différents thèmes : Par exemple, la sécurité en mer avec la SNSM où ils nous ont raconté un peu des expériences de récupération et comment adapter son bateau. Ou encore le matelotage avec un gréeur qui nous a expliqué comment faire une épissure sur de la tresse creuse… On a eu également un thème sur la météo avec un météorologue. On a fait de la mécanique marine où l'on avait un mécanicien qui nous a expliqué l'hivernage du moteur, avec des petits tips pour réparer facilement son moteur en mer, ou quelle caisse à outils minimale. On a eu aussi le commandant de port et puis un pilote du Havre qui venaient nous expliquer comment eux, voient la plaisance depuis leur gros porte-conteneur quand ils rentrent et comment on peut mieux communiquer. On a comme ça différents thèmes tout au long de l'année pendant l'hiver jusqu'au mois d'avril.
On organise aussi une journée qu'on appelle "la journée du plaisancier" où l'on fait sur le Terre-Plein Nord toute une journée de rencontres. On a beaucoup d'associations qui viennent se présenter. On a des professionnels du nautisme qui viennent exposer. On laisse aussi la possibilité aux plaisanciers de faire des puces nautiques. Il y a un concert, des food trucks, des baptêmes de voile, de kayak. C'est une journée vraiment dédiée aux plaisanciers de rencontres et d'échanges.
Pour revenir sur l'escale , le Brexit s'est-il ressenti pour la fréquentation du port ?
Le Brexit a eu des conséquences importantes en termes de passage au Havre. Globalement, de juin à septembre, sur les 4 mois, on a près de 2 000 bateaux qui font escale au port. Sur ces 2 000 bateaux, la moitié sont Français. Et sur la seconde moitié d'étrangers, la moitié, sont Hollandais. Nous avons donc 25 % d'Hollandais sur l'ensemble des visiteurs. Avant le Brexit, les autres 25% était quasiment à part égale Anglais et Belge. L'année du Brexit en 2023, nous avons perdu tous les anglais. Plus aucun passage ! L'année 2024, on a commencé à retrouver un peu de voyageurs Anglais. Mais c'était assez minime. Par contre, cette année 2025, les Anglais sont revenus en force. Je pense que les procédures aussi liées à l'accueil des gens qui sont non Schengen au début a repoussé les plaisanciers. C'était un vrai frein pour eux pour venir et pour nous, pour y aller. Maintenant, avec des formulaires qui sont en ligne la procédure ne s'est pas simplifiée, mais elle est connue avec un process qui est en place. Il y avait tellement d'incertitudes au début., je crois que les gens n'osaient pas trop naviguer et traverser la Manche.

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